la "fiche" de Adolphe Isidore THENINT Le contexte historique L'insurrection dans l'Yonne Les sociétés secrètes
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Les sociétés secrètes

A partir de "Les rouges de l'Yonne en 1851", par Denis Martin, Université Paris X - Nanterre, direction Francis Demier - juin 1995

 

Petit à petit les interrogatoires mettent à jour l'existence de sociétés secrètes et le rôle des émissaires porteurs de mots d'ordre.
Des sociétés secrètes il y en a dans toutes les communes insurgées. La Puisaye semble en être couverte d'un réseau serré.

Dès le 10 novembre 1851, quelques semaines avant le coup d'état, le sous-préfet de Joigny, Devesiès, avait découvert une société secrète à Bléneau. Cette société secrète - si on en croit le journal "la Constitution" - semble être en liaison avec celles du Loiret voisin et non avec celles de l'Yonne coordonnées par les dirigeants socialistes d'Auxerre. La Loire serait la voie de pénétration et de dissémination d'un mouvement venu du centre de la France. Les sources préfectorales mettent plutôt la création de cette société secrète en liaison avec le séjour à Bléneau d'un clerc d'avoué venu d'Auxerre au cours de l'hiver précédent. Quoi qu'il en soit il s'avère que la société secrète de Bléneau a des ramifications dans tout le canton.

Ces sociétés secrètes ne sont pas les chimères d'un pouvoir inquiet. Elles existent réellement. Il y a des réunions dans des arrière-salles de café, dans des caves, chez des particuliers, dans des champs et des bois. Le sous-préfet de Joigny révèle au préfet, le 25 novembre 1851 que "des rassemblements fréquents réunissent dans les bois deux cents hommes de Bléneau, cent cinquante de Rogny, cinquante de Saint Privé, cinquante de Champcevrais". Des cotisations sont versées. Du prosélytisme est fait. Les termes d'"affilié" ou d'"affiliateur" sont accolés à tous les noms des condamnés de 1852.

Des inculpés avouent avoir prêté serment sur un poignard. Chauvot, de Toucy, ne dit-il pas que son poignard est "sacré"? Un affilié de Bléneau, journalier, avoue en novembre 1851 avoir été "initié" et il raconte la cérémonie: "il avoua enfin le jour,  l'heure,  le lieu,  le bandeau dont on avait couvert ses yeux,  le serment qu'on avait exigé de lui, les pistolets qu'il vit ensuite braqués sur son visage, pendant qu'on le menaçait de mort s'il révélait le secret de la société" .

Mais le plus souvent la société n'a de secrète que le nom. Il s'agit plus simplement d'individus qui se réunissent dans les cabarets, y lisent les journaux collectivement, les commentent, discutent politique. Le nombre des cabaretiers arrêtés, 68, est éloquent.

"La société de Rogny était présidée par le vieux sabotier, le père Dufour, qui lisait le journal l'Union Républicaine aux frères et amis réunis les lundis et vendredis soir dans sa boutique ou dans le cabaret de son frère... A Saint Privé une société secrète paraît s'être formée sous la présidence de Pic, cabaretier" .

Les sociétés secrètes sont en contact régulier: celles des petites communes avec celle du chef-lieu de canton, celles des chefs-lieux de canton avec celles des sous- préfectures ou celle de la préfecture suivant leur position géographique.

Une société a pris une grande extension dans toute la Puisaye. Il s'agit de la "Marianne" qui unifie et structure les sociétés secrètes derrière des analyses et des mots d'ordre communs. Lacour, dirigeant démoc-soc, a décrit le fonctionnement de cette société dans un article paru en 1881 dans "l'Almanach administratif, historique et statistique de l'Yonne". Il y raconte les rendez-vous clandestins la nuit, dans les bois, sa propre affiliation, la division de la société en centuries et en décuries...

D'autres sociétés comme la "Solidarité Républicaine" ou la "Nouvelle Montagne" structurent le mouvement républicain avancé.

C'est ainsi que les sociétés de Guillon et de Vézelay sont en correspondance avec celle d'Avallon. Celles de Châtel-Censoir et d'Asnières correspondent entre elles et avec Clamecy. Nous connaissons les noms de ceux qui assurent les liaisons.

D'Auxerre on voit partir des émissaires en direction de l'est vers Pontigny et Saint Florentin, en direction du sud vers Bazarnes, Cravant et Vermenton, en direction de l'ouest vers Toucy. Auxerre est bien le centre névralgique du réseau des sociétés secrètes. C'est de là que viennent les nouvelles, c'est de là que partent les mots d'ordre.

Que les démoc-soc soient en contact du chef lieu du département jusqu'aux plus petites communes ce n'est pas douteux. Pour autant peut-on parler, comme le fait le pouvoir, de "complot révolutionnaire"?


La Marianne dans les campagnes

 

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