la "fiche" de Adolphe Isidore THENINT Le contexte historique L'insurrection dans l'Yonne Les sociétés secrètes
La presse et les chansons La Puisaye insurgée Le pouvoir et la répression La Loi de réparation nationale
La délation Le camp de Bourkika    

 

La Bourkika près de Marengo (Alger)

 

extrait de: histoire de la transportation de décembre. Ch Ribeyrolles 1853 Jeffs, libraire, Burlington Arcade Londres

 

Nous avons peu de détails sur les camps qui suivent; il en est même quelques-uns, tels que Guelma, Mers-el-Kébir, Mascara, dont la situation et les souffrances nous sont jusqu'ici restées inconnues.

Toujours est-il que le système de la transportation en Afrique est à jour maintenant, et que les révélations publiées sur  Aïn-Sultan, Aïn-Beniam, Beni-Mansour et Alzib-Ben-Nechoud, suffiront pour éclairer l'opinion du monde; le régime là-bas n'est-il point partout le même?

 

 

Voici quelques dernières correspondances de l'Oued-Boutan et de la Bourkika :

 

 

…Quand nous sommes arrivés à l'Oued-Boutan, après un voyage très rude, qui a duré quatre jours, à travers rivières et montagnes, nous n'avons trouvé rien de préparé pour nous recevoir; il a fallu coucher sur la dure plusieurs jours, sans paille; je dis sans paille, car nous n'en avions que quelques brins à travers lesquels perçaient les mottes de terre.

Après notre installation sous notre hangar ou baraque, l'on nous a proposé de travailler à couper des chardons dans la cour de notre  camp, car c'est un vrai camp que nous habitons, et fort mal-sain, s'il faut en croire les colons qui nous environnent. C'est peut-être pour cela que l'on ne nous laisse pas communiquer avec eux, on craint les confidences qui nous éclaireraient sur notre sort prochain: Qu'importe? La mort nous l'apprendra toujours!

Plus tard l'on nous a fait creuser, comme moyen d'assainissement, des fossés, et cela nous paraît assez conforme aux révélations des colons, soit dit en passant.

Plusieurs d'entre nous, et je suis du nombre, travaillent avec des maçons pour le génie; nous transformons en habitations de vieilles écuries, où nous serons moins mal que sous nos hangars, puisque nous pourrons dormir au moins sur le pavé, et que nous aurons des murs au lieu de planches mal jointes.

La plupart de nos amis souffrent beaucoup de coliques et de dysenteries, quelques-uns sont à l'hôpital, d'autres sont déjà revenus, quoique souffrant encore; mais il paraît que nous ne sommes pas aux plus mauvais moments, c'est aux mois de juillet, août et septembre que règne l'épidémie.

Le travail  est libre, nous dit le lieutenant; en attendant, ceux qui ne veulent pas aller aux corvées sont menacés de Bône, et l'on ne s'est point toujours contenté de la menace, car plusieurs sont déjà partis; du reste si les chaleurs et les maladies continuent, il en partira bien d'autres: mieux vaut en effet aller souffrir à Bône que mourir ici lentement dans ce bagne du désert.

En arrivant ici qu'avons-nous trouvé sur le chemin? des fosses où sont enterrés des colons; cette route est pavée de tombes,  dans quelques temps il y en aura bien d'autres!

 

De la Bourkika, 19 novembre 1852

 

 

 

… … Je, t'écris à côté du lit et près du corps d'un de nos bons camarades qui vient de mourir il y a deux heures; c'est le neuvième que nous enterrons depuis un mois. Si l'esprit résiste, bien des corps sont usés, et, si ce régime devait durer, bien des hommes s'éteindraient promptement. Je n'avais pas l'idée qu'on pût mourir aussi bravement. Pas une plainte, pas un regret; un serrement de main convulsif aux quelques amis qui le voient partir, puis  quelques larmes silencieuses, mais brûlantes, comme adieu à la famille aimée qu'ils ne reverront plus, et tout est dit: les malheureuses victimes ont cessé de souffrir.

 

 

 

L'Oued-el-Hamann, près Mascara, 3 janvier 1853.

… …Si jeune! C'est bien  malheureux. Si nous devions  rester longtemps ici je serais certain de finir de même car il y a peu que la fièvre m'a quitté; pendant quatre mois elle m'a brisé.

On dit que nous sommes amnistiés. Le directeur du camp nous a même lu une lettre par laquelle le ministre disait que Napoléon était disposé à nous renvoyer chez nous, moyennant la promesse, de notre part, d'y rester tranquilles ....

Parmi les transportés, ceux qui  le sont par décision d'un conseil de guerre, et pour avoir commis un délit ou crime contre la propriété, ou attenté à la vie des personnes, ne sont pas compris dans l'amnistie. Mais tous les autres le sont, moyennant ce que je vous ai dit. Cette lettre nous a été lue le 30 novembre dernier, et depuis ce temps nous attendons l'exécution de la mesure annoncée officiellement. Au camp où je suis, nous avons perdu jusqu'à présent trente-une personnes, sur deux cents que nous étions primitivement; et pour peu que l'on tarde à nous renvoyer, la déception jointe à toute autre maladie en aura bientôt tué le double .

 

 

 

… Ici nous sommes sous des tentes, nous allons casser des pierres avant le jour; nous avons à peu près la moitié de la nourriture qu'il nous faudrait,  quoique le gouvernement nous en accorde davantage. C'est à la mauvaise qualité de la viande que nous devons de souffrir la faim, les bœufs ressemblent à un cent de clous.

Nous recevons quelques sous tous les cinq jours quand nous travaillons, et nous avons la fièvre; alors nous ne travaillons pas, et nos quatre sous de prêt de poche nous manquent juste au moment où nous en aurions le plus besoin; enfin je peux terminer en vous disant: et nous mourons.  Jusqu'à présent on n'a distribué que des pantalons de toile et des blouses idem.  Je vous demande comme on a chaud par des nuits, des matinées et des soirées excessivement froides, et tellement humides, que nos effets fument quand nous approchons du feu!

… …Nous sommes dans la plus mauvaise contrée. J'ai vu en vingt-quatre heures un homme devenir fou et mourir parce qu'il  n'espérait plus revoir ses enfants:

 

Philippe REBUFFOT

Hussein-Dey, 7 janvier 1853

 

 

 

Depuis un mois environ, je subis les tristes contrecoups de ma captivité d'une année, des ennuis et du climat d'Afrique et de ses camps. Le défaut  presque absolu d'exercice a fini par me mettre sous l'action menaçante de la paralysie apoplectique. J'ai éprouvé et j'éprouve encore aux extrémités des fourmillements et les torpeurs qui en sont les signes avant-coureurs. C'est à peine si je sens la plume entre mes doigts .....

De Feuillide

 



Nous connaissons le règlement, ou, pour dire son vrai nom, le décret officiel de police générale qui régit la transportation d'Afrique. Nous avons vu, d'un autre côté, par la correspondance des camps, ce qu'il y avait au fond du système colonial, dans ses applications diverses, - voyages, aliments, solde et disciplines.
Il nous reste donc à mettre en regard les ordonnances et les actes, les textes menteurs et les pratiques vraies, pour que l'opinion publique puisse apprécier et juger en connaissance de cause.

Que dit d'abord ce règlement, inconnu de la France, inconnu des transportés, sorti d'on ne sait où, lettre vivante pour les rapports et lettre morte pour les réclamations, véritable formulaire du caprice, modifiable à toutes les fantaisies?

"Il établit trois catégories de transportés : 1° ceux internés dans les forts et les camps; 2° ceux admis dans les villages; 3° ceux qui sont autorisés à se livrer à des exploitations particulières ou bien à résider sur certains points déterminés."


Ces classifications, on les a faites pour la forme : il fallait bien, publiquement, se conformer aux décisions des commissions mixtes, et garder l'Afrique-moins que portaient tant de dossiers! - Au fond, ainsi que le disait crûment M. de Mongeot, l'on n'a jamais appliqué, l'on n'a jamais connu que l'Afrique-plus, et le gouverneur général lui-même ne le déclare-t-il pas dans les deux versets suivants?

"ART. 2. A leur arrivée en Algérie, tous les transportés font partie de la première catégorie. - (Les internés dans " les forts.)

"ART. 3. Le passage d'une catégorie dans une autre a lieu en vertu d'une décision du gouverneur général. "

Si la simple décision du gouverneur peut vous envoyer d'un lieu d'internement dans les cachots de Bône ou du Bab-Azoun, sa volonté, son caprice, sa belle ou difficile humeur a donc puissance et force d'exécution contre tous les jugements portés et rendus en France?

Si les arrêts édictés et rendus en France ne font point compte, quand on arrive en Algérie, et que l'omnipotence-Randon soit absolue, comme l'établit l'article 3, que deviennent les paperasses des commissions mixtes, et quel recours reste-t-il aux transportés ?

Ils n'ont pas même droit à la lettre, à la lettre écrite des décisions infâmes qui les ont frappés!

Dans le vrai, la classification établie au texte officiel n'est et ne fut jamais qu'un mensonge: - le pouvoir discrétionnaire de M.  Randon et la dictature ignoble de ses geôliers, officiers ou sergents,- voilà le code, voilà la charte, voilà la loi des transportés d'Afrique!

Une ambition stupide en haut; en bas, des cupidités besogneuses jusqu'au vol, jusqu'à l'assassinat, - voilà le gouvernement!

Les internés des forts et des camps, disent-ils? le mot est heureux: autant vaudrait parler des internés des casemates, des pontons, de la Force, de la Conciergerie, de la Tour de Moulins ou de Mazas! - Connaissez-vous les internés de la  vieille Bastille?

Et les transportés admis dans les villages?  Ceci serait bouffon, en vérité, s'il n'y avait pas tant de morts derrière ces bergeries-Randon!

Un village, c'est Aïn-Sultan, c'est Aïn-Benian, c'est Beni­Mansour, c'est quelquefois une baraque au loin charriée dans le désert et sous laquelle vous grelottez la nuit, sur la terre nue; c'est un campement sauvage, sans provisions, sans ressources, entre la vermine et les hyènes, sous le vent des balles kabyles!

C'est là que M. Randon veut bien admettre ses privilégiés de la deuxième catégorie…  à condition pourtant qu'ils y travailleront à charrier des tombereaux sous le harnais des bêtes de somme et sous l'aiguillon des sergents!

Voilà les villages du bailli-gouverneur! Qu'en diraient nos paysans des plus chétifs hameaux de France, et qu'en dirait la steppe russe elle-même?

Quant aux plus favorisés qui pourraient, à la grâce du sultan d'Alger, ouvrir des exploitations particulières ou résider sur certains points, autres que les villages et les forts ci-dessus,-les cas ont été si peu nombreux, qu'on peut déclarer la clause une pure fantaisie littéraire; c'est une réclame de pudeur publique!

(... ...)

 

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